RADO est un sigle à signification variable : il peut s’adapter aux circonstances comme aux désirs de ceux qui associent leurs noms sous ces quatre lettres. Cette mobilité, sinon ce flottement, rappelle celle des « troncs de bois reliés de manière assez lâche » évoqués par Fernand Deligny pour décrire la figure du radeau. Nous y reconnaissons l’image la plus juste pour dire l’en-commun d’une activité menée à plusieurs.
Depuis 2009, RADO réunit huit artistes aux pratiques diverses, de la photographie à la sculpture, en passant par la vidéo et le dessin. Tous partagent un intérêt pour les formes et les conditions
d’une pratique collective de l’art, parallèlement à l’activité qui structure leurs recherches personnelles. Les membres de RADO se sont rencontrés grâce au séminaire Des territoires animé par
Jean-François Chevrier à l’École des beaux-arts de Paris ; séminaire qui se voulait, au tournant du siècle, un espace de réflexion et d’information ouvert, qui dépasse les limites de l’art
contemporain et se préoccupe de l’état du monde.
Certains artistes s’étaient déjà associés à l’occasion de projets spécifiques (dont un cycle d’expositions commandé par la Maison Populaire, à Montreuil). L’exposition Champs
d’abondance, présentée en janvier 2009 à la galerie Dix9 (Paris), a été la première manifestation publique de RADO et l’occasion de formaliser l’existence d’un groupe
de travail. Plutôt que d’illustrer un thème, nous avions voulu, à partir d’une recherche initiée par Adrien Malcor, faire circuler des figures et des motifs (le contenant, le moule, le pays de
Cocagne, la réserve, etc.) en réglant les relations formelles, d’oeuvre à oeuvre, pour construire un espace d’exposition non conditionné par un discours préalable, et ainsi ouvert à l’expérience.
En mars 2011, la galerie Dix9 réinvitait RADO, et ce fut : Le bouc chantait (tragédie), une exposition construite autour du second volet du travail photographique de Madeleine
Bernardin Sabri sur la fin de la propriété collective dans la région de Moscou.
En 2011, par la voix de Manée Teyssandier, l’association Peuple et Culture Corrèze nous invitait à nous intéresser “au présent et au futur” du pays de Tulle, en privilégiant les occasions de travailler avec les habitants. Si nous avons accepté cette invitation avec enthousiasme, c’est parce qu’elle émanait d’une situation d’exception : celle produite par l’action longue d’une association d’éducation populaire qui s’est tournée vers l’art pour continuer à chercher ce qui d’un territoire n’avait pas été vu. Nous avons choisi d’aborder le territoire par ses réseaux techniques, par sa vie organique, associant la question démocratique que pose l’écologie à l’enjeu documentaire. Comment avec de la vidéo, du dessin, des photographies, des sculptures, rendre compte de réalités cachées, ou mal regardées, tout en indiquant des réserves d’invisible ? De ces questions et des enquêtes que nous avons conduites se sont dégagées plusieurs situations. Chacune engageait une modalité du collectif, entre artistes du groupe, avec des travailleurs, des écoliers ou des militants du territoire ; chacune portait aussi une réserve d’invisible. Car tout ce qui ne se voit pas n’est pas invisible de la même façon.
Fanny Béguery, Madeleine Bernardin, Florian Fouché, Adrien Malcor, Anaïs Masson, Maxence Rifflet, Claire Tenu, Antoine Yoseph
« Un radeau, vous savez comment c’est fait : il y a des troncs de bois reliés entre eux de manière assez lâche, si bien que lorsque s’abattent les montagnes d’eau, l’eau passe à travers les troncs écartés. […] Nous ne maintenons que ce qui du projet nous relie. Vous voyez par là l’importance primordiale des liens et du mode d’attache, et de la distance même que les troncs peuvent prendre entre eux. Il faut que le lien soit suffisamment lâche et qu’il ne lâche pas. »
Fernand Deligny, Le Croire et le Craindre, Stock, 1978 ; repris dans Œuvres, L’Arachnéen, 2007, p. 1127.